Concevoir un site comme celui-ci avec WordPress.com
Commencer

Rebelles du genre – Épisode 61 – Pauline

Pauline – Je m’appelle Pauline, j’ai 34 ans, je vis dans le Sud-Ouest. Je suis lesbienne, mariée, belle-mère d’une jeune femme de 19 ans et je suis survivante de violences familiales et aussi sexuelles. Je suis analyste fonctionnelle, mon travail c’est d’absorber de l’information sur n’importe quel sujet, mais moi je me centre sur le travail de mes collègues pour en extrapoler toutes les problématiques, tout ce qui pourrait en fait poser problème dans leur méthode de travail, soit pour atteindre leurs objectifs, soit dans leur bien-être. Des fois, il suffit que deux personnes se parlent, tout simplement, pour régler un problème qui peut (des fois depuis des années) créer une tension inutile au sein de l’équipe. Donc c’est mon travail de cibler ces informations là, de m’assurer que l’information circule correctement, que les gens sont dans de bonnes conditions… 

Je suis en arrêt maladie longue durée pour COVID long, donc en ce moment, je ne travaille pas.

Ce qu’il faut savoir, c’est que j’ai un frère jumeau. Ce dont je vais parler est assez intime mais, jusqu’à mes 5 ans environ je n’avais pas conscience de ce que c’était qu’être une femme ou de ce que c’était d’être un homme. Je pensais que mon frère et moi nous étions une seule entité, avec deux corps. 

À l’arrivée de ma petite sœur, nos parents ont décidé qu’ils allaient faire une chambre pour les garçons et une chambre pour les filles. On m’a séparée de mon frère et ça a été un trauma que j’ai réglé l’année dernière, en thérapie, qui a vraiment façonné ma personnalité, parce que j’ai eu la sensation d’être amputée d’une partie de mon corps. Et c’est aussi là que j’ai commencé à comprendre que j’étais supposée être une petite fille et que mon frère était un petit garçon, donc il y avait des différences fondamentales dans la façon dont on interagissait avec les autres. 

J’ai grandi dans une famille nombreuse. On est une grande fratrie dans la tradition juive marocaine. Mes parents n’étaient pas croyants mais pratiquants, jusqu’à leur divorce. 

La synagogue est un lieu extrêmement misogyne et c’est la première fois aussi où, par exemple, j’ai compris ces règles : les petites filles ne doivent pas toucher la Torah, elles ne doivent pas être devant dans la synagogue pendant les prières parce que c’est impur, parce qu’on n’est pas méritantes… C’est quelque chose qui m’a braquée contre la religion d’emblée, alors que j’aimais bien les histoires, j’aime bien lire la Bible, je trouvais ça intéressant toute la partie mythologique. Mais toute la partie purement religieuse, croyance, déjà ce n’était pas quelque chose que mes parents nous enseignaient réellement, puisqu’ils y allaient par habitude. Et cette injustice de ne pas pouvoir être avec mon frère dans ces moments-là a semé les premières graines. 

Ensuite, dans la logique assez sexiste, clairement, de mon éducation, mes frères avaient une grande liberté de mouvement et pas moi. Les filles restent à la maison, elles n’ont pas à sortir. Les garçons, par contre, sont libres de sortir quand ils veulent. Il n’y avait pas trop de logique à ça. 

Mon père était un pervers narcissique et toute la famille était complètement sous sa coupe. C’est à dire que c’est un homme qui était extrêmement charmant et charismatique à l’extérieur, et totalement tyrannique dans la sphère privée, plus tard aussi dans sa sphère professionnelle (puisqu’il avait un poste à responsabilité et il faisait la même chose dans son métier qu’à la maison).

Il a fallu que le père adoptif de ma mère décède et ce deuil-là lui a donné la force de s’échapper, de partir du foyer. Malheureusement, elle est partie toute seule. Dans les années qui ont suivi, ils ont considéré que c’était un abandon de foyer. Elle n’a pas eu la garde. On s’est retrouvés seuls, avec ce père, et moi en tant que fille aînée. J’étais un peu le bouc émissaire. J’étais la personne qui représentait ma mère dans le foyer. Je devais m’occuper de mes frères et sœurs. J’étais responsable de toutes leurs bêtises, c’était de ma faute. Donc c’est une injustice complète et ça a duré deux ans, jusqu’à ce que ma mère obtienne enfin la garde, mais elle n’a obtenu la garde que des filles.

Là encore, le genre (enfin le sexe, le genre, je sais pas trop comment dire… mais pour moi c’est le sexe), c’est ce qui a déterminé les décisions du tribunal. On a laissé les garçons chez le père et on a laissé les filles aller chez la mère. Sans logique, parce que c’est également séparer de nouveau des jumeaux, c’est de nouveau séparer une fratrie qui a grandi ensemble, parce qu’entre le plus âgé et le plus jeune, il n’y a que 10 ans d’écart. On est une fratrie qui est très, très proche, avec beaucoup d’enfants. C’était totalement absurde, mais c’est la décision qui a été prise. 

Ça a été une nouvelle période également. J’étais vraiment dans l’adolescence quand ma mère a eu la garde. J’avais 15 ans à peu près et on passait toutes les vacances chez mon père. Il profitait des instants où on était seuls pour me faire du matraquage psychologique ; c’est à dire qu’il me faisait du chantage, il me faisait du chantage au suicide, il m’expliquait qu’il allait se tuer, parce que c’est de ma faute si il avait perdu la garde de ma petite sœur, que je méritais de trouver son corps… Il me faisait voir des films sur le suicide pour vraiment me baigner dans cette ambiance, et j’ai vraiment cru, un soir, que j’allais me suicider, parce que je n’en pouvais plus. 

Je commence un petit peu à avoir des sanglots dans la voix. J’ai vraiment beaucoup de compassion pour cette jeune femme que j’étais, parce que vraiment c’est difficile de subir ça. Et maintenant je réalise, en tant qu’adulte, qu’il ne le faisait jamais devant quelqu’un. On était toujours seuls dans ces périodes-là et dans une famille aussi nombreuse, c’est pas évident d’être seuls. Pour montrer le degré de perversité, c’est impressionnant.

Malheureusement, je pense que ma mère, quand elle est partie, est partie très loin. Elle est partie dans les îles. C’est quelque chose que j’avais lu dans un article quand j’étais dans ma vingtaine, que beaucoup de femmes qui divorçaient partaient dans les départements d’outre-mer et je ne m’étais pas posé de question. 

Maintenant que j’y pense, je me dis que ma mère évitait tout simplement de se faire tuer, parce qu’à plusieurs reprises, mon père parlait de se suicider, me faisait ce chantage, mais aussi il parlait de tuer ma mère. Des fois, il partait dans de grandes diatribes là dessus, où ils fantasmait le meurtre de ma mère. 

Je me rappelle qu’une fois, ma petite sœur était présente cette fois-là, et elle est partie chez sa meilleure amie. Après, elle ne lui a plus adressé la parole pendant 6 mois. Il s’est calmé, parce que ma petite sœur, c’était la petite dernière, et il l’adorait. Donc il s’est dit : “Je suis allé trop loin.”. Mais c’était fou quand même, d’en arriver à ça pour qu’il lève le pied. 

Moi, je me suis appris à sous-réagir. C’est ce qui m’a poussée à la thérapie. Je me suis fait agresser dans le tram à Bordeaux en allant au travail par quelqu’un qui était grossophobe et je n’ai pas réagi sur l’instant. J’étais juste sidérée que quelqu’un que je ne connais ni d’Ève ni d’Adam se permette de m’agresser verbalement, de se pencher vers moi, d’essayer de m’intimider physiquement, juste parce que j’étais là. Il n’y avait strictement aucune interaction entre nous deux. J’étais vraiment en état de choc, tout le monde me disait : “Tu devrais être en colère ! Énerve-toi ! Ce n’est pas normal comme situation.” . Et moi, j’étais juste triste, je n’arrêtais pas de pleurer, je ne comprenais pas.

Quelques jours après cet incident, je me suis de nouveau fait crier dessus par une collègue en pleine réunion. Elle est venue s’excuser juste après, je lui ai dit qu’il n’y avait pas de souci et, 24 heures plus tard, là je m’énerve. Je me dis que ce n’est pas normal, ce n’est pas normal que je mette 24 heures à m’énerver. Elle s’est déjà excusée donc ça ne sert à rien. Qu’est-ce qu’il se passe? Voilà, c’est ce qui m’a poussé à aller en thérapie et la thérapie m’a aidée. Il m’a fallu beaucoup de temps pour déconstruire, comme j’avais ce mécanisme de sous-réaction.

La première fois (entre guillemets) où je me suis “énervée en public”, j’étais radieuse, parce que je n’avais jamais de colère en moi. J’étais toujours dans une attitude de non-réaction, qui était une attitude de protection que j’ai internalisée petite fille. Maintenant, en sortant de ça, j’étais trop fière. Le monsieur contre qui je me suis énervée n’était pas fier, mais moi j’étais trop fière. 

Je suis restée longtemps apolitique. Je lisais énormément, je suis restée dans ma bulle et je suis tombée sur l’idéologie queer par glissement.

Quand j’ai rencontré la personne qui allait devenir ma femme, on s’est rapidement demandé si on allait avoir un enfant. Elle était déjà mère célibataire, elle avait une petite fille de 9 ans. Est-ce qu’elle aurait un deuxième enfant ? Moi, ça aurait été mon premier. En fait, elle ne voulait pas d’enfant. La maternité a été extrêmement compliquée pour elle, mais elle ne voulait pas me refuser le droit à la maternité si c’était quelque chose que j’éprouvais. 

La question, c’était la faisabilité. En fait, ce n’est pas possible en France. Si on voulait un enfant, il fallait soit se forcer à avoir un rapport avec un homme, soit partir en Espagne ou en Belgique, avoir des grandes dépenses, supporter des hormones dont on n’a pas forcément besoin, puisque peut-être que ça aurait pu marcher sans les hormones. C’était un effort absurde, et moi je n’avais pas envie d’avoir un enfant à ce point. Et en plus, ça m’a énervée de nouveau. Ça m’a fait un profond sentiment de colère et d’injustice, parce que j’ai toujours eu le syndrome de la bonne élève. J’ai réalisé que je n’avais jamais fait une seule infraction de ma vie. J’avais toujours payé mes impôts, toujours été réglo. Et j’étais une citoyenne de seconde zone. Je n’avais pas le même droit que ma voisine si elle était mariée, parce que j’étais une lesbienne, mais si j’avais été une femme célibataire, j’aurais eu le même problème. Donc le problème n’était pas que d’être une lesbienne, c’était d’être une femme en France. On n’avait pas les mêmes droits par rapport au fait qu’on était liées à un homme, ou pas. 

Ça m’a vraiment fait une onde choc. J’ai commencé à m’intéresser à toutes les discriminations. J’ai toujours été sensible au discriminations, j’ai grandi en banlieue parisienne, j’ai vu beaucoup de discriminations sur la race, sur la religion, mais là c’était la première fois que ça me frappait sur l’homosexualité ou sur le sexisme. 

J’ai commencé à consommer du contenu sur Internet sur ces questions-là, et petit à petit je suis tombée sur des gens qui parlaient de l’idéologie queer et de transphobie. 

J’étais totalement ouverte à ces questions et en empathie avec ces personnes qui parlaient de leur souffrance. 

J’ai commencé à en parler autour de moi aussi, et ma femme était vraiment sceptique. 

Moi, je disais : “ Rien que le fait que tu sois sceptique, c’est de la transphobie.” . Ou le fait qu’elle, elle ne supporte pas du tout tout ce qui est féminin. C’est une femme qui est extrêmement androgyne. 

Je dis : “Si ça se trouve, tu es non binaire.” . 

Et je lui donnais tout le vocabulaire que j’apprenais au fur et à mesure. Ça la braquait un peu mais elle me disait : “Ok, si tu veux, c’est ton délire, moi ça ne m’intéresse pas.” . 

Elle a pas mal de misogynie intégrée, elle a toujours été très garçon (on va dire), dans la façon dont ses parents l’ont éduquée et dans la façon dont elle relationne. Elle a toujours été entourée d’hommes. Elle n’a jamais été très à l’aise avec les femmes. Elle dit : “C’est ton délire, moi je suis une femme parce que je supporterais pas d’être un homme, parce que l’homme c’est l’ennemi.”. Mais d’un autre côté, elle n’a pas d’appétence à dire : “Je suis une femme”. Le genre ne l’intéresse pas, c’est quelque chose qu’elle a complètement déconstruit, qu’elle n’a jamais vraiment voulu intégrer et donc devoir se conformer à ces stéréotypes, ça l’agaçait plus qu’autre chose.

Moi, j’étais à fond. Je me suis pris la tête avec ma meilleure amie parce qu’elle me disait : “Non, c’est inadmissible que ces gens-là viennent parler dans les écoles et confusent les enfants sur ces questions-là.” . Elle n’était pas d’accord et moi je ne comprenais pas pourquoi. Je suivais le train-train des informations, le cœur sur la main… J’étais un peu attristée de voir que les deux femmes que j’aime le plus sur la planète, ma meilleure amie et ma femme, ne comprenaient pas ces questions-là. Je trouvais que c’était un manque d’empathie de leur part, donc on a arrêté de traiter ces questions ensemble parce que ça pouvait trop être sujet de conflit. Je ne voulais pas mettre en péril nos relations pour ces questions-là. 

Quelques années après, il y a eu notre fille (donc ma belle-fille. Il faut savoir qu’on vit ensemble depuis qu’elle a 10 ans et pour moi, c’est ma fille. Je vais en parler comme ça. C’est ma fille, quand on vit avec un enfant, qu’on le voit grandir… ).

Elle nous a fait un coming out trans vers ses 14 ans et elle était hyper émue quand elle nous l’a dit. Elle était ravie que je comprenne. Bon… Sa mère était ultra sceptique et on a eu de la chance car son prénom était neutre. On n’avait pas à en changer. Quand elle nous l’a dit, elle s’était déjà coupé les cheveux sans nous demander notre avis (quelque chose qui ne nous importait absolument pas). 

On lui a acheté des vêtements de garçon et on a posé quelques questions sur ce qu’elle voulait qu’on fasse. Globalement, ce n’était rien. Et puis, ça s’est arrêté. Ça a duré à peu près un an pendant qu’elle, apparemment, se genrait au masculin au collège, ce qui faisait qu’elle était hyper cool. Elle avait la côte auprès des filles et des garçons. 

Puis comme ça, du jour au lendemain, ça s’est de nouveau changé en fille, dans sa façon vestimentaire et puis, même maintenant, elle switche en fonction des jours et de ses humeurs. Elle s’habille comme elle veut, elle se fringue comme elle veut. 

Elle a arrêté mais sans vraiment faire d’annonce pour en parler.

Je me suis un peu inquiétée quand elle a arrêté de se masculiniser, en me disant que peut-être elle essayait de se conformer aux attentes de sa mère et qu’on avait raté quelque chose, peut-être qu’elle était en souffrance dans son coin et qu’elle ne nous en parlait pas… 

Mais pas du tout. J’étais juste à côté de la plaque. Elle avait eu une dysphorie pubertaire qui était passée. Elle avait pris le temps, elle cachait ses seins pendant une période parce qu’ils venaient juste de sortir, et que c’était difficile comme période. Après, elle s’est habituée à son nouveau corps, et non seulement elle l’acceptait, elle le montrait dans d’autres types de tenues vestimentaires.

En janvier 2022, j’ai rejoins le cercle féministe d’Antastasia dont je suivais les vidéos. J’étais un peu confuse sur son contenu sur le genre. Je trouvais qu’elle disait des choses pertinentes et en même temps ça me mettait mal à l’aise. Il m’a fallu beaucoup de temps pour mûrir sur ces questions. Il m’a fallu 4 ou 5 mois pour commencer à absorber le message qu’elle essayait de faire passer et à déconstruire tout ce que j’avais appris de cette idéologie, à me dire qu’elle peut poser problème tant qu’on parle de personnes qui ont une dysphorie, qui ont une maladie mentale. 

Et encore, dans ces personnes-là (c’est un petit pourcentage de personnes) dont la solution est effectivement de faire une transition, il existe des personnes qui souffrent de dysphorie et qui n’ont pas besoin de transitionner parce que ce ne serait pas la solution. 

Je pense à la chanteuse Mathilde qui parle de sa dysphorie sur les réseaux et c’était quelque chose dont elle n’a pas le besoin . C’est très difficile pour elle de vivre dans son corps de femme, surtout quand elle est en pleine crise, mais la solution pour elle n’est pas de se prétendre homme, clairement. Et je trouve que c’est positif d’avoir ce genre de personnalité, qui en parle de façon saine. 

En tout cas, moi, par rapport à mes changements de position, j’avais un peu peur d’en parler à la maison et de clasher avec ma fille, mais il s’est avéré qu’elle aussi avait fait un 180 degrés sur les questions trans, parce qu’au lycée c’est devenu impossible d’avoir une opinion qui n’est pas pro queer. Juste impossible. Elle s’est fait insulter, elle s’est fait traiter de transphobe parce qu’elle ose dire : “Mais il faut arrêter de temps en temps, il faut remettre les choses dans un autre contexte.” . Et juste parce qu’elle essaie de dire non des fois à certaines choses qui sont dites au lycée, elle s’en est pris plein la tête. 

Finalement, maintenant à la maison, c’est quelque chose dont on parle assez régulièrement et on est toutes d’accord. Donc ma femme est assez contente. Elle n’a pas changé d’avis depuis le début et elle a attendu qu’on fasse notre cirque.

RDG – Que vous réfléchissiez ensemble, séparément et ensemble. Et voilà, c’est bien, c’est chouette cette patience qu’elle a eu et qui fait que vous ne vous êtes pas braquées. Ça s’est passé comme naturellement la plupart des dysphories pubertaires passent en fait.

Pourquoi penses-tu que cette idéologie est une menace pour les femmes, pour leurs droits, pour les enfants, pour la société et pour notre démocratie?

Pauline – Premier point : c’est l’invisibilisation des femmes dès l’instant où l’on a plus le droit d’utiliser ce mot-là. Déjà qu’en tant que femme on a tellement de difficultés à être vues, à être entendues, si en plus on ne peut même plus être caractérisées, ce n’est pas possible. 

Pour illustrer ce propos, je veux parler de ma mère. Ma mère, c’est quelqu’un qui a une belle éducation, qui a eu une belle carrière, et qui a eu des relations extrêmement toxiques toute sa vie, et qui souffre de pas mal de problèmes de santé dont malheureusement j’ai hérité. Et ça fait plus de 50 ans qu’elle a des douleurs sans diagnostic. 50 ans d’errance médicale, depuis ses 19 ans. Moi je l’ai su seulement quand j’ai commencé à avoir mes douleurs, quand je lui en ai parlé et qu’elle les a reconnues. Je ne savais même pas que ma mère souffrait à ce point toute sa vie en fait et les médecins lui ont dit : “Ce n’est pas mortel, ce n’est pas grave.”. Voilà, parce qu’ils étaient incapables de dire ce qu’elle avait, parce qu’il n’y avait pas de diagnostic clair. Ils lui ont dit de laisser tomber et donc elle a laissé tomber.

RDG – Juste pour préciser, ta mère est médecin elle-même. 

Pauline – Oui. Elle est médecin elle-même. Elle était médecin du travail donc elle a beaucoup travaillé dans la prévention, mais en fait elle a juste laissé tomber parce que de toute façon, quand on est en errance médicale, ça demande un investissement énorme de la part de la personne qui est malade, de force et de hargne pour essayer de trouver des réponses. Il faut s’acharner à encourager le médecin à faire des tests et la majorité ne veut pas parce que ça coûte de l’argent. 

Donc il y a tout un mur d’incompréhension qui se met devant nous, et globalement quand c’est des femmes, honnêtement, j’ai l’impression que ça joue. Alors en plus des femmes qui comme moi par exemple sont en surpoids… mais c’est encore pire ! Parce que tout va être mis sur le fait que c’est le poids qui est la cause de tout alors que ça n’a strictement rien à voir. Ce n’est pas parce qu’une personne est ronde qu’elle n’a pas une maladie génétique, qu’elle n’a pas quelque chose qui dans son corps et détraqué qui n’a strictement rien à voir avec les cellules graisseuses. Et ça, c’est très très compliqué. 

Donc si on ne sait même plus ce que c’est qu’une femme mais comment est-ce qu’on peut lutter pour les droites de ces personnes là ? On leur a toujours dit de souffrir en silence et maintenant on leur dit : “ Vous n’avez même plus le droit d’utiliser le mot qui vous caractérise le mieux, que vous pouvez utiliser pour vous défendre.” . C’est une violence extrême.

Aussi être une femme, c’est un parcours du combattant. Moi, dans ma famille (dans toutes les générations, dans toutes les générations que je connais, donc ma grand-mère, ma mère, ma génération), il y a eu des viols. Ça veut dire que dans ma famille, je sais que toutes les femmes de ma famille, à toutes les générations, il y en a au moins une qui a été violée, et que dans toutes les générations de ma famille, il y a au moins un homme qui était un violeur. Parce que majoritairement le viol est commis par quelqu’un de la famille, ou dans la sphère familiale en tout cas, même si c’e n’est pas la famille de sang. Et je sais ça, en fait. 

Si on peut plus désigner que ces personnes là correctement, mais c’est une catastrophe, parce que comment on va protéger nos enfants ? Enfin moi, c’est quelque chose maintenant que je suis mère… Mais ma fille… Des fois j’ai peur, comme ça, ça me prend parce que je ne peux rien faire pour la protéger. Je ne peux pas être avec elle tout le temps, je ne peux pas l’étouffer, je ne peux pas l’empêcher de vivre, je ne peux pas lui donner les armes nécessaires parce que c’est à elle de se les faire. On peut juste lui ouvrir des voies mais après c’est à elle de décider si elle les prend ou pas. 

On est dans ce monde où c’est tellement facile pour les hommes de faire du mal aux femmes, il n’y a tellement pas de retour de bâton… Il m’a fallu la thérapie pour réaliser que le seul homme avec qui j’ai relationné m’avait violée. Déjà il m’a fallu 3 ans avant que je me dise : “Ah, c’était peut-être une situation de non consentement.”.  Et ensuite, j’ai réalisé que non seulement il m’avait violée, mais il m’avait violée plusieurs fois, qu’il m’avait étranglée, j’avais failli perdre connaissance donc j’ai peut-être frôlé la mort parce qu’à 5 minutes près, c’était fini et je ne m’en rappelais pas. J’avais complètement oublié cet événement là. Pour rien, par pulsion. Enfin, juste pour exercer son pouvoir.

C’est vraiment une violence extrême ce que je vous dis, mais c’est vraiment la violence qu’en tant que femme il y en a tellement qui le vivent, et certainement des choses encore pire. Si on ne peut pas prendre ça au sérieux, si des personnes qui se maquillent vont dire : “C’est ça être une femme.” Mais c’est aberrant parce que moi je ne supporte pas le maquillage. Non mais sérieux… Et pourtant, je suis une femme.

Et en fait la vérité des femmes, c’est une vérité de résilience et c’est vraiment important, vraiment, que les femmes trouvent leur voix et qu’on ne se laisse pas silencier comme ça, pour les enfants. 

Moi, quand je pense que si ma fille avait insisté pour les bloqueurs de puberté, je l’aurais probablement appuyée dans cette démarche, quand elle avait 14 ans, parce que je croyais vraiment, sincèrement, à cette idéologie.

Et en fait, aujourd’hui, ça me donne envie de vomir quand j’y pense, que j’aurais pu l’aider à se détraquer la santé!

Moi, ayant des problèmes de santé que je n’ai pas choisis, provoquer ça sur un corps sain! Mais ça me rend malade! Que des personnes, que des enfants se rendent malades physiquement parce qu’ils sont en recherche de connexion, donc ils ont juste ce besoin des adolescents de se connecter à une communauté, mais vraiment ça me rend physiquement malade d’y penser. Et en tant que personne qui est malade, qui souffre d’une maladie chronique, donc invisible, c’est-à-dire que les gens me croisent dans la rue, ce n’est pas écrit sur mon front que je suis malade… je ne suis pas en fauteuil roulant, et c’est l’image que tout le monde a. Ou je n’ai pas de canne, ou etc. Et en fait, on propose à des gens qui sont vraiment en situation de vulnérabilité énorme, un remède miracle! 

“Fais une transition, tu verras, tous tes problèmes vont s’envoler!”

La vie ne marche pas comme ça! Et je peux comprendre en fait, ce besoin.

Surtout pour des enfants qui vont vraiment, des gens qui sont extrêmement fragilisés… Moi, il y a des journées qui sont extrêmement difficiles dans mon quotidien, même avant le COVID long, il y a des journées où faire le moindre mouvement, c’était pas possible, en fait! Mon corps refuse, parce qu’il y a tellement de douleurs, tellement de problèmes… Ça ne marche pas. Je ne pouvais pas bouger.

Si quelqu’un arrive et me dit : “attends, je peux soulager… ta solution c’est : clac! Tu fais tout ça, et après ça ira mieux!” 

Mais les gens ont besoin de ça. Et après, tu es, en plus tu es prise dans cette communauté qui te chérit, qui te dit : “oui tu souffres plus que tout le monde, et on te comprend, etc.” 

Bien sûr que c’est séducteur, et c’est hyper dangereux, c’est complètement… enfin. C’est quelque chose qui me, vraiment qui m’inquiète, en fait. Déjà quand on voit la corrélation entre le mouvement transactiviste et les algorithmes des réseaux sociaux, que en fait, c’est quelque chose qui est favorisé. Les confinements, avec … ça envoyait les gens encore plus sur les réseaux sociaux. Que les réseaux sociaux, ça a fait flamber, en fait l’idéologie queer.

Que les gens ne sentaient pas bien, parce qu’ils étaient enfermés chez eux, et étaient privés de contact social… et que tout d’un coup, maintenant, ils pouvaient faire partie d’une communauté, entre guillemets, géniale.

Et en plus, qui a ce côté magique d’être : “toi tu souffres plus que tous les autres!”

J’ai toujours vu ça, en fait : c’est que les gens veulent toujours être “le plus”.

Ils ne peuvent pas être le meilleur, bah alors il veut être celui qui souffre le plus, celui qui est le plus malheureux dans sa vie, etc.

En fait, moi ça me fait flipper : on est en train de créer une société de nombrilistes fanatiques. Ils sont haineux, ils sont dangereux et ils glorifient la victimisation!

Donc on se croit en pleine dystopie de science-fiction, mais en fait, non! C’est la réalité.

Et quand je vois le nombre de médias, de personnalités, de politiques qui suivent le train sans se poser de questions, et qui mettent en avant le droit de faire taire le personnel médical, de faire taire les parents, de faire taire les scientifiques, museler les femmes… bah ça fait peur pour notre droit d’expression et pour les personnes qui sont prisonnières de cette spirale. Les personnes qui ont suivi le mouvement, elles sont convaincues, elles vont convaincre d’autres personnes, c’est comme une contagion. Et puis un jour, elles vont se réveiller, et elles vont se dire qu’elles se sont fourvoyées. On le voit avec les personnes qui les détransitionnent : ces personnes-là, elles souffrent, mais tellement plus encore, que si on s’était occupés d’elles correctement dès le début, en fait. Qu’on leur avait apporté ce dont elles avaient besoin dès le début, au lieu d’essayer de leur dire “il suffit d’une baguette magique”. 

Donc je n’ai pas trop de conclusion à ça.

Honnêtement, c’est vraiment juste de l’horreur pure, et l’impression d’être complètement dans un monde absurde.

RDG – Qu’est-ce qui t’a décidée à témoigner aujourd’hui sous ta réelle identité? Est-ce que tu as déjà subi des pressions, des menaces? Est-ce que tu te sens en danger ou en sécurité, dans ton entourage personnel ou professionnel, ou est-ce que tu te sens parfaitement libre de parler?

Pauline – Alors je témoigne sous ma réelle identité parce que je n’ai pas de présence particulière sur internet : je n’ai pas l’énergie, pour l’instant, de faire du militantisme actif, donc je ne cours pas de risque. Et je pense que c’est important de témoigner sous ma réelle identité dans l’espoir qu’il y ait des jeunes comme ma fille, en fait, qui vont se réveiller avant qu’il ne soit trop tard, avant qu’ils n’aient commis des dommages irréparables sur leur corps et leur santé. 

Il n’y a rien de romantique ou d’héroïque dans la souffrance et la maladie. Vraiment.

Ce n’est pas drôle.

Ce n’est vraiment pas drôle, donc il ne faut pas le faire.

RDG – As-tu une anecdote à raconter sur un événement qui t’a marquée concernant la transidentité ou le transactivisme?

Pauline – Oui. Je trouve ça mineur, et en même temps… Sur Facebook, en fait, il y avait une femme que j’ai rencontrée sur un groupe de fans d’une autrice lesbienne qui écrit de la science-fiction. Donc là, on est dans de la littérature de niche. Et en fait, elle a publié un article pour des goodies transactivistes! Et il y avait tellement de gens qui ont liké, qui faisaient partie de ce groupe! Et sur les objets, donc, il y avait une liste de noms d’autrices lesbiennes. Et en fait c’étaient des sacs et en fait c’était la liste des noms dans les couleurs LGBT… C’était un merchandising, mais… le fait de voir les noms de ces femmes, en fait, dont je respecte le travail, suivre l’idéologie queer… Je ne sais pas comment expliquer. En tant que lesbienne, c’est dur de trouver de la représentation qui est saine, en fait. Parce que certaines de ces autrices, quand elles écrivent des histoires, c’est horriblement nul. C’est des histoires romantiques sexistes : il y a une femme qui va être prédatrice, et une femme qui est proie, et c’est violent, et c’est juste un maquillage pour vendre, dans tous les clichés misogynes de l’amour qu’on peut imaginer. Il y en a, en fait, qui ne sont pas comme ça. Il y en a qui vont parler de vraies femmes, de parcours de femmes, de femmes qui vont être résilientes, des femmes qui vont être complexes… 

Et donc, voir le nom de certaines de ces autrices, que je respecte, sur ces objets de merchandising où il y a marqué “Sapphic with a T”… Mais c’est plus que triste, c’était rageant! Parce qu’il n’y a pas beaucoup d’espaces, en fait, qui sont pour les lesbiennes : il y a très peu de bars, et la majorité se font fermer, les uns après les autres. 

Les groupes de militantisme, on l’entend souvent sur le podcast, en fait c’est juste de plus en plus difficile d’être militante et lesbienne.

Et apparemment, en fait, même la littérature lesbienne, elle se fait grignoter par ça quoi!  C’est fou!

RDG – Quand tu parlais de merchandising, c’était donc quel type de goodies?

Pauline – C’est des sacs, des coussins, des tasses. Il y a marqué “Sapphic with a T” en plein milieu d’un texte coloré, et le texte coloré, c’est le nom, la liste des noms de ces autrices.

RDG – Comment tu le traduis, toi?

Pauline – Lesbienne avec un T.

RDG – Lesbienne à pénis, quoi.

Pauline – Voilà, c’est ça. En fait je n’ai pas de mots!

D’une certaine façon, ça m’étonne pas, parce que certaines autrices que je trouve qui ont de la profondeur, ce sont des autrices qui ont un parcours universitaire, qui sont professeures dans des universités américaines… Et en fait on est vraiment dans l’univers où elles sont le plus, entre guillemets, dans l’univers queer, on va dire : les facs.

Je me rappelle avoir lu la liste avec une angoisse, en me disant “est-ce que je vais trouver toutes les autrices j’apprécie? Vraiment? Toutes celles qui m’ont émue, qui m’ont fait réfléchir, qui m’ont prise aux tripes?” 

Heureusement, non. Heureusement il y en a qui sont absentes. Et je me dis, mais quelle force elles ont eue. Parce qu’elles y sont quasiment toutes, entre guillemets, toutes les femmes qui publient dans les années 2010-2020, elles apparaissent sur ce truc. Donc celles qui ont dit non : “waouh!” 

RDG – Oui, c’est des résistantes, en fait!

Pauline – Oui

RDG – As-tu quelque chose à ajouter?

Pauline – Alors oui. Je voudrais faire une citation de Audre Lorde, de son texte : “Transformer le silence en paroles et en actes.” Elle l’a communiqué, en fait, après avoir cru qu’elle allait mourir de cancer.

Et donc elle a écrit ça :  

“J’allais mourir tôt ou tard, que j’aie pris la parole ou non.

Mes silences ne m’avaient pas protégée.

Votre silence ne vous protégera pas non plus.

Mais à chaque vraie parole exprimée, à chacune de mes tentatives pour dire ces vérités que je ne cesse de poursuivre, je suis rentrée en contact avec d’autres femmes, et ensemble nous avons cherché des paroles s’accordant au monde auquel nous croyons toutes.

Construisons un pont entre nos différences.

Et ce sont l’intérêt et le soutien de toutes ces femmes qui m’ont donné de la force et m’ont permis de questionner les fondements-mêmes de ma vie.”

Voilà. Cette citation, je la trouve extrêmement puissante, et dans la continuité, je voulais dire un grand merci, en fait, à toutes les rebelles du genre, et à toutes celles qui m’ont réveillée, pour le travail magnifique que vous faites.

Et c’est ce qui m’a inspirée à témoigner.

RDG – S’’il vous plaît, signez la déclaration des Droits des Femmes basés sur le sexe.

 womensdeclaration.com 

Publicité

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Le blog de Christine Delphy

Nouvelles questions féministes

TRADFEM

Collective de traduction de textes féministes radicaux

Rebelles du Genre

"Comment je suis devenue critique du genre" - Des femmes qui ont des ovaires !

WordPress.com en français

Toutes les nouvelles de la communauté WordPress.com

Noues Femmes

La french touch de la WHRC

%d blogueurs aiment cette page :